Suite aux annonces du président Emmanuel Macron le 13 avril, les festivals d’été ont été annulés en cascade, bouleversant le monde du spectacle vivant. A la fois vitrine culturelle et ressource financière, ces manifestations sont essentielles dans une carrière artistique. Leur annulation entraîne de nombreuses conséquences.
« La culture ne sortira pas tout de suite du confinement, et le spectacle vivant encore moins ». Pour Suzanne Combo, déléguée générale de la Guilde des Artistes de la Musique, la situation actuelle est critique. « 80% des acteurs culturels sont touchés par la crise liée au coronavirus, c’est une année blanche pour les artistes ». Pour le moment, tous les festivals sont logés à la même enseigne : annulés ou reportés, ils doivent remodeler leur calendrier sans pouvoir se projeter durablement dans l’avenir et n’ont généralement pas de fond de roulement sur lequel s’appuyer. Franck Riester, ministre de la Culture, a annoncé qu’il étudiait tout de même la possibilité d’autoriser les petits festivals cet été : « Mais comment déterminer les critères d’un petit festival ? Quel sera la faisabilité ? » s’interroge Suzanne Combo.
« L’annulation des festivals, c’est aussi une perte sèche pour les villes et leurs commerces », affirme Laure Kaltenbach, directrice du think-thank culturel Le Forum d’Avignon et de The Creative Tech. « Une onde de choc qui touche d’abord l’industrie créative et tous ceux qui travaillent autour – les producteurs, diffuseurs, attachés presse – puis qui se propage au secteur du tourisme, les hôtels et artisans qui vivent grâce aux festivaliers, et enfin celui des transports ». Les retombées économiques du festival d’Avignon sont de l’ordre de 100 millions d’euros chaque année.
Les réunions s’enchaînent pour trouver des solutions et reporter le maximum de représentations à l’année prochaine. Assurer la pérennité de la trésorerie, indemniser les artistes, refaire la programmation de l’édition 2021 : une pression importante pour des équipes déjà très réduites.
Soutenus en partie par les acteurs locaux, les festivals doivent sécuriser leurs subventions pour 2021. « Nos aides ont été accordées mais on ne sait pas encore si on les recevra cette année, puisque les concerts n’ont pas lieu », confie Yves Henri, directeur du festival de Nohant.
A priori, les festivals soutenus par les collectivités territoriales ne devraient pas être en danger, grâce aux municipalités parfois très impliquées. Depuis deux ans, les Chorégies d’Orange sont devenues une société publique locale (SPL). Leur directeur artistique, Jean-Louis Grinda, siège donc au conseil d’administration aux côtés du maire et des présidents de la région et du département.
Pour autant, les organisations doivent souvent trouver d’autres sources de financement : « Les Chorégies d’Orange sont auto-financées à 80%, on dépend en grande partie de la billetterie » explique Paulin Reynard, directeur de production.
Le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence s’est tourné vers le mécénat privé et les coproductions : « Les subventions représentent 35% du budget, ce qui est très peu pour l’opéra. Le mécénat pèse près d’un quart ; le solde est couvert par les coproductions et recettes diverses », décrit Jérôme Brunetière, secrétaire général du festival.
Au-delà de l’aspect purement financier, l’annulation des festivals a aussi de lourdes conséquences pour les artistes qui perdent l’occasion de se produire devant des producteurs susceptibles de les engager.
Une Académie a été créée au sein du festival d’Aix-en-Provence pour promouvoir des jeunes talents internationaux. Si l’absence de représentations compromet leurs chances, Jérôme Brunetière se veut rassurant : « Nous mettons tout en œuvre pour permettre à ces jeunes talents d’être vus et entendus ».
Laure Kaltenbach suggère de son côté la création d’une plateforme numérique qui permettrait aux artistes de s’auto-promouvoir.
« Le risque va encore planer longtemps au-dessus de nos têtes »
Se pose surtout la question de l’après : le confinement va-t-il pousser les Français à augmenter leur consommation culturelle ? Laure Kaltenbach en doute : « Quand on ne boit pas son café du matin, on ne va pas en boire deux le lendemain ou trois le surlendemain pour compenser. C’est pareil pour les pièces, les concerts ou les expositions. […] Le risque va encore planer longtemps au-dessus de nos têtes, soupire-t-elle. A mon avis, la culture reprendra au compte-goutte à partir de 15 juillet mais ne sera pas rétablie avant 2021. »
Pour certains experts médicaux, il faudrait même repousser les concerts à l’automne 2021, après un retour à la normale progressif de l’économie.
En attendant, les syndicats travaillent ensemble à l’élaboration de solutions communes et concrètes : « Il faut saluer France Festivals, un regroupement de 70 à 80 festivals, qui nous réunit pour partager nos interrogations et les faire remonter de manière ordonnée au ministère, ainsi que les initiatives prises par Profedim (ndlr : le syndicat des producteurs-diffuseurs de spectacles) ou de la Réunion des opéras de France (ROF) », souligne Paulin Reynard.
Les festivals proposent des rediffusions ou même des captations inédites de leurs productions : les Chorégies ont déjà prévu de diffuser leurs spectacles courant juillet – à la période prévue du festival – sur les antennes de France TV. Quant au festival d’Aix, s’il diffuse déjà ses anciennes productions sur Arte et la chaîne YouTube de France Musique, il envisage également de proposer en streaming certaines de ses représentations prévues cet été.
Les organisateurs de festivals espèrent retrouver leur public l’an prochain : « Tous les professionnels du spectacle vivant seront au rendez-vous, il faudra que le public continue d’aller au spectacle pour soutenir les artistes et les salles car c’est pour lui que nous jouons ! » s’exclame Paulin Reynard. « Tous ces lieux culturels qui font le sel de la vie sont mis entre parenthèses en ce moment mais ça nous montre à quel point nous sommes chanceux de pouvoir nous y rendre », espère Laure Kaltenbach. « La culture a été essentielle pour la santé mentale de tous en ces temps de confinement donc on espère qu’ils s’en souviendront », conclut Suzanne Combo.
L’article original par Phéline Leloir, publié le 27 avril 2020